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Tirdad Hashemi: The Trapped Lullabies

Exposition personnelle
gb agency, Paris
4 février - 18 mars 2023


The Trapped Lullabies est une comptine rejouée par Tirdad Hashemi le temps d’une exposition. Une chanson de son enfance qui devait rendre la mort plus douce. Le cadre d’une cellule de prison est posé, les injustices en Iran aujourd’hui rappellent celles, vécues par des êtres aimés; les souvenirs de l’artiste, encore plus intimes, resurgissent. L’exposition raconte une violence sourde d’un pouvoir brutal, absurde et sans limite face à la révolte d’un peuple sans arme.

Exhibition view, Tirdad Hashemi: The Trapped Lullabies, gb agency, Paris. Photo: Aurélien Mole.

Tirdad Hashemi, The Highly Sensitive, 2022

Exhibition view, Tirdad Hashemi: The Trapped Lullabies, gb agency, Paris. Photo: Aurélien Mole.

Exhibition view, Tirdad Hashemi: The Trapped Lullabies, detail, gb agency, Paris. Photo: Aurélien Mole.

Exhibition view, Tirdad Hashemi: The Trapped Lullabies, gb agency, Paris. Photo: Aurélien Mole.

Tirdad Hashemi, Nous n’avons rien à perdre que nos chaines, 2022

Exhibition view, Tirdad Hashemi: The Trapped Lullabies, gb agency, Paris. Photo: Aurélien Mole.

Exhibition view, Tirdad Hashemi: The Trapped Lullabies, gb agency, Paris. Photo: Aurélien Mole.

Tirdad Hashemi, As we start moving our fear will vanish, 2023

Exhibition view, Tirdad Hashemi: The Trapped Lullabies, gb agency, Paris. Photo: Aurélien Mole.

Tirdad Hashemi & Soufia Erfanian, They covered the “EXIT“, full of pain, with no way in, 2022

Pour Tirdad Hashemi, l’art est toujours lié à la communauté. L’art, même au stade de l’inspiration, nécessite la présence d’autrui ; peut-être parce que pour elle, la vie n’a de sens qu’en société, en communion avec d’autres personnes. Et la création artistique n’est pas une exception. Tirdad Hashemi déteste être seule. Non seulement elle peut travailler avec un autre artiste, mais elle implique également l’Autre dans son processus de travail ; elle intègre même l’œuvre d’un autre peintre dans son exposition personnelle. Ainsi, son art et son mode de vie sont en symbiose.

L’exposition The Trapped Lullabies, est composée de dessins et de peintures signés Tirdad Hashemi et de deux installations. On voit également un carnet de Soufia Erfanian, comprenant des portraits de Tirdad, d’elle- même et de leur couple.

LE CHAGRIN PERSONNEL, LE CHAGRIN COLLECTIF

La première série The Blue Poisoning, révèle le dénouement des jours de lassitude et de dépression de l’artiste, à l’hiver 2022, à la suite de sa deuxième migration, de Paris à Berlin. La couleur bleue exprime les sentiments de tristesse et de solitude ressentis par Tirdad dans le froid figé berlinois. Des corps douloureux et solitaires semblent lutter pour vivre ; malgré leurs souffrances, ils espèrent encore. L’expression ludique de l’artiste dans l’utilisation des lignes longues, douces et libres, l’usage de motifs tels que l’eau, l’arrosoir ou le végétal créent un monde irréel et satiryque. Le papier resté vierge, la composition non statique et turbulente des œuvres avec ses figures naïves et enjouées s’opposent au sentiment de tristesse qui s’en dégage. Souvent rempli par du blanc, le cadre met en scène la vie quotidienne de personnages dessinés comme s’ils étaient déséquilibrés ou disproportionnés. Étirés, suspendus, inclinés.

TheTrapped Lullabies, est la dernière série en date de l’artiste.Les peintures sont marquées par les événements politiques récents en Iran, son pays natal, à la suite du meurtre d’une jeune fille kurde nommée Jina (Mehsa) Amini à Téhéran par la police, dite, police des mœurs. Le mouvement de protestation portant le slogan Femmes,Vie, Liberté a commencé en Iran le 16 septembre 2022. Ce mouvement a réveillé non seulement un grand espoir dans le cœur du peuple iranien, mais a également attiré l’attention de nombreuses femmes opprimées, de philosophes, de personnalités en Iran et dans le monde. Cette révolte en Iran a créé un mélange complexe de joie, de douleur et de tristesse que l’on retrouve dans la plupart de ses dernières œuvres.

Si la série précédente témoignait d’un certain esprit critique, la mise à distance disparaît dans The Trapped Lullabies, comme si la tristesse collective des événements récents en Iran avait un impact (influence) direct sur la mélancolie et la créativité de l’artiste.

A l’opposé ici tout est enseveli. De sorte qu’il n’y a pas d’échappatoire pour respirer.Toute la surface de la toile est recouverte de fines couches de peinture. La palette des couleurs de l’artiste est souvent sombre ou achromatique. Les pigments sont superposés, les traces des couches sous-jacentes sont rendues visibles. A travers cette méthode de coloration, l’artiste, consciemment ou inconsciemment, fait référence à la profondeur de la douleur. Les photos d’insurrections sont une source d’inspiration afin d’illustrer la résistance du peuple iranien contre les forces gouvernementales ; Dans les scènes de violence, les personnages n’ont plus un aspect libre et fluide a l’instar des dessins précédents. Ils sont au contraire rigides et déterminés. Tirdad Hashemi intensifie ainsi la noirceur, l’angoisse et la violence dans ses toiles. La mort devient le sujet principal, des vies perdues, des rêves enterrés. Les insurgés s’incarnent dans des corps endormis, seuls, délaissés ou enlacés.

HONNÊTETÉ, SINCÉRITÉ ET HUMILITÉ

Tirdad Hashemi s’en remet souvent au hasard pour le choix du matériau et du support de ses oeuvres: elle s’approprie des petites toiles dans la rue comme pour ressusciter les souvenirs des artistes qui les avaient laissés là. Elle rend hommage aux victimes de son pays, en faisant reposer sur la toile et sous la terre (prise du jardin) ces êtres innocents. Elle utilisera aussi, après les avoir brulés, des vêtements trouvés un jour par hasard. A Berlin, il est fréquent de déposer dans la rue des objets afin de leur donner une deuxième vie. L’artiste a ainsi récupéré un carnet de dessin, en a prolongé les lignes, page après page ; le récit entre deux histoires se construit de façon aléatoire et poétique.

Dans le processus de sélection des matériaux, non seulement la subjectivité de l’artiste est importante, mais aussi sa relation avec le lieu où elle a vécu, ou bien encore les amis avec lesquels elle a été en contact et qui ont joué un rôle décisif. C’est l’intimité de l’artiste avec ce qui l’entoure qui se reflète dans ses œuvres.

Tirdad Hashemi dessine la violence, la souffrance et la mort, nue - ni décorative, ni séduisante. L’exposition actuellement à la galerie est au croisement de différents types de chagrin :le deuil personnel et collectif co-existent. Au-delà des questions de marché ou de politique, l’Art est humaniste et peut rendre le monde meilleur selon l’artiste.

MAHSA MOHAMMADI: Souhaitez-vous nous en dire un peu plus sur votre façon de travailler ?
TIRDAD HASHEMI: Aujourd’hui, je peux dire avec certitude que j’aime valoriser les choses qui existent mais qui ne sont pas utilisées et qui sont rongées par la poussière. Quand j’étais étudiante, c’était incompréhensible pour moi de voir mes amis ne pas laver correctement leurs outils et pinceaux, les laisser dans un coin, puis acheter de nouveaux outils, encore et encore.

MM: Pensez-vous que cet attachement que vous avez à conserver objets et outils vient de la peur de perdre perte et oubli? pourrait-on dire qu’il y a un lien entre votre peinture et le désir de perpétuer le souvenir des objets et des sentiments ?
TH: Pour être honnête, votre interprétation est plus belle que la mienne. C’est pourquoi je voulais que cet article vienne de vous. Parfois, je me sens proche de vos publications et des photos que vous partagez sur Instagram. Donc, il vaut mieux répondre brièvement à cette question et dire que oui, je pense que c’est ainsi.

MM: Votre expression picturale me rappelle Milton Avery : la façon dont vous simplifiez les formes, mêlez peinture et dessin, des couleurs à plat et même la forme lyrique des branches végétales. Dans vos œuvres, cela ressemble parfois à de la musique. De plus, le studio d’Avery a toujours été plein d’artistes travaillant côte à côte. Les deux femmes que l’on voit dans la plupart de ses œuvres sont sa femme et sa fille. En général les toiles d’Avery sont le reflet de ses relations familiales et de sa vie personnelle.Avez-vous déjà pensé à ce rapprochement?
TH: Je crois que j’ai toujours été influencée par le travail des enfants. Nous savons tous dessiner quand nous sommes petits, et nous sommes tous peintres. Nous oublions de peindre en grandissant. Je suis heureuse d’observer les enfants dessiner car ils ont un regard particulier sur le monde, sans chercher à faire passer un message précis ou une seule idée, ils peignent ce qu’ils ressentent. C’est pourquoi j’aime travailler avec des artistes qui n’ont jamais exposé. Leur sincérité me ramène à mon adolescence. Je me souviens de la définition de l’art que j’avais en tête quand j’avais 16 ans.

MM: Quand vous aviez seize ans, comment voyiez-vous l’art ?
TH: A cette époque, pour moi le marché était un sujet abstrait. Je pensais que l’honnêteté de l’art pouvait apporter un changement positif dans le monde et créer un mouvement artistique, philosophique … ou un sujet de conversation. Le marché de l’art n’est pas souvent très différent du marché de l’or et du dollar, je ne sais pas exactement comment l’art peut avoir une influence sur ce marché. Une des caractéristiques de l’art humble et intègre, c’est qu’il doit être compréhensible pour tous. Sa priorité est de créer une forme d’empathie.

MM: Est-ce que votre but consiste à évoquer l’art comme une expérience sensorielle partagée ? Y a-t-il un sentiment particulier que vous désirez communiquer avec vos œuvres ?
TH: Je pense que la peinture, l’art, est pour tous. Pas seulement pour un public spécifique, donc elle doit s’exprimer dans un langage simple afin que tout un chacun puisse la comprendre et en parler.Tout au long de l’histoire, la rue a été une source d’inspiration pour de nombreux artistes. Par exemple, Agnès Varda, une cinéaste française de la Nouvelle Vague, a déclaré que chaque fois qu’elle est vide d’idées, elle va dans la rue et ne revient jamais les mains vides.

MM: Faites-vous aussi consciemment de la rue votre source d’inspiration ? ou rencontrez-vous des objets dans la rue complètement au hasard qui attirent votre attention ou forment une idée dans votre esprit ?
TH: Quoi qu’il en soit, la rue est pleine d’événements. Nous créons tous ensemble ces aléas. Je me vois comme une petite partie de la rue et j’essaie de refléter cela dans mes œuvres. L’histoire des choses abandonnées dans la rue est aussi importante pour moi, pourquoi elles sont là et quelles sont leurs histoires. Les objets, les personnes ou les rêves ne doivent pas être oubliés. Pour l’exposition, j’ai collaboré avec un ami, Nacer Ahmadi, sur un morceau de musique. Nacer est coincé en Turquie depuis cinq ou six ans, en attendant de recevoir une réponse positive à sa demande d’asile. Cinq ou six ans, c’est long. L’histoire de tous ces objets, ces projets perdus ou abandonnés sont comme des vœux oubliés.

MM: Tirdad, je me souviens que vous aviez sauvé de nombreux matériels enterrés dans un coin, vous avez mentionné des souvenirs et des rêves enfouis ou gâchés.Aimez-vous relier ces souvenirs et rêves perdus à votre peinture et à l’art et leurs donner une seconde vie ?
TH: Je crois qu’il y a une chose terrible dans ce monde, quand on demande à la plupart des gens s’ils aiment leur travail, la réponse est non. Ils passent leur temps libre à se reposer afin de reprendre à nouveau leur travail. La majorité n’a même pas le temps de réfléchir à ce qu’ils souhaitent et oublient même ce dont ils rêvaient auparavant. Certaines de mes toiles sont inspirées par les rêves et ambitions oubliés.

MM: Pour votre exposition, vous souhaitez placer les peintures au niveau du sol. L’angle de vue des visiteurs et votre œuvre a-t-elle déjà été un problème pour vous ? Je n’aurais pas la chance d’être présente à votre exposition, cependant lorsque j’imagine regarder vos œuvres exposées au public, cela m’évoque la même étreinte que celle que vous avez dessiné dans certaines de vos toiles. Comme si pour regarder cet ensemble, il faudrait y établir un lien plus intime : se pencher vers elles ou s’asseoir devant elles.
TH: J’ai placé les toiles au niveau du sol pour que cela ressemble à un cimetière. De cette façon, observer les tableaux reviendrai à visiter des pierres tombales. Avec cette mise en scène, j’ai essayé de me rapprocher davantage du projet initial.

MM: Le corps humain est présent dans la plupart de vos œuvres, les corps sont souvent dessinés comme s’ils étaient déséquilibrés ou disproportionnés. Étirés, suspendus, inclinés. Ils apparaissent souvent comme douloureux et aspirant à être libérés. Ou peut-être avons-nous affaire à des âmes qui ne se sont pas bien positionnées dans leur corps et le conflit entre les deux les a renversé ou façonné comme nous le voyons dans vos œuvres. Dans le carnet que vous avez trouvé dans la rue, l’accent est à nouveau mis sur le corps, ici l’arrière-plan et l’espace sont presque supprimés. Parfois des éléments sont ajoutés pour transmettre du sentiment, comme une grosse larme qui couvre tout le corps sur des pages. Dans ce cahier, j’aime beaucoup l’expression très minimaliste que vous avez employé. Les corps se détendent comme les œuvres sur la toile, mais il y a une différence entre ces deux catégories : d’une part, le rapport entre le personnage et la surface du papier en supprimant l’espace, d’autre part, dans certaines de vos pages, nous sommes confrontés à une sorte de dualité dans l’état de ses corps. Comme si dans les toiles, la libération des corps dépendait de la mort ou de l’endormissement. Nous sommes ici dans une sorte de désir de libération active, et en même temps, ils se reposent comme s’ils essayaient de s’échapper du cadre. Le lien entre la taille du personnage et le format du papier accentue cette tension entre l’espace et le personnage et donne au spectateur la sensation de corps enfermés dans le cadre. J’aimerais que vous nous éclairiez davantage à propos des corps dans votre art.
TH: Quand j’étais adolescente, je me suis définie comme transsexuelle, aujourd’hui je me considère comme genre fluide. J’ai toujours été confrontée à des questions sur le corps et la sexualité et j’ai vécu avec ces questions.

MM: Il y a un lit de centre de détention où vous avez placé le carnet de Soufia. Dans cette mise en scène, un morceau de musique joue également. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi vous avez choisi ce morceau? Et également la raison du choix du lit.
TH: Pour être honnête, j’ai créé cet espace plus pour moi que pour le public, c’est une sorte de thérapie. Cette mise en scène est liée au regard que je porte sur moi-même et sur mes souvenirs. Je voulais me pardonner d’avoir laissé emprisonner mon corps dans des petites pièces fermées. Bien sûr, j’y ai été contrainte mais après ces expériences, ma phobie des espaces clos s’est développée. Cette fois-ci, j’ai eu envie de me chanter une berceuse avec le morceau de musique que nous avions travaillé avec Nacer et retrouver mes souvenirs d’enfance. J’ai mis le carnet de Souphia là où elle a dessiné mes portraits pâles, à côté du lit pour m’inventer un espace sûr. J’ai reconstitué des images, celles que j’avais en tête tout en évoquant aussi l’intimité qu’il y a entre Souphia et moi.

MM: Pour finir, y a-t-il quelque chose que vous aimeriez ajouter ?
TH: Che Guevara a joliment dit : Sur un oreiller plein d’oiseaux morts, On ne peut pas rêver de voler.


Autrice : Mahsa Mohammadi, Traductrice : Maryam Habibi
The Trapped Lullabies est une exposition en collaboration avec Soufia Erfanian, Ramin Parvin, musique de Nacer Ahmadi.